«Exprimez-vous par la musique!»
Entre sport et art, le patinage artistique signe sa singularité. Pour réussir cette symbiose, la musique est un élément primordial. Rencontre avec Hugo Chouinard, designer musical qui travaille avec les plus grands patineurs et chorégraphes, tout comme avec de jeunes talents. C’est la synergie de ses différentes passions, le design, la musique et le patinage artistique qui a mené Hugo à exercer son métier. Cette année, le québécois célèbre ses 20 ans de carrière, au cours desquels il a déjà créé plus de 30.000 montages. Un travail de titan et de précision, reconnu par les plus grands à l’instar de Brian Orser, Julie Marcotte, David Wilson. Une reconnaissance méritée pour cet artisan de l’ombre qui a répondu à nos questions malgré un emploi du temps surchargé.
Comment vous êtes-vous lancé dans ce métier de designer musical?
Je n’ai pas débuté en me donnant le titre de designer musical. Au début, je recevais les premiers clients dans ma chambre, dans la maison familiale. Je travaillais sur des cassettes 4 pistes et l’objectif était de créer des transitions fluides, de les faire disparaître. Ma démarche était plus technique qu’artistique et remplie d’exploration, d’expériences. C’est une phrase d’un de mes tuteurs à l’école de Design Industriel qui m’a ouvert les yeux et fait comprendre que cela pourrait réellement devenir ma vocation. Il m’a dit: «Quand tu pourras faire converger tes passions dans un métier, tu ne travailleras plus jamais.»
Depuis ce jour, le patinage et la musique sont au cœur de mes journées. C’est au fil des années et des collaborations que ma vision du montage, des structures de programmes se sont transformées. Les premiers chorégraphes qui m’on fait voir la musique avec une nouvelle sensibilité; Julie Marcotte, David Wilson, ont amené mon travail à un autre niveau, au-delà du simple montage. J’ai appris à façonner la musique pour lui faire raconter de brèves histoires de 2, 3, 4 minutes, à réellement designer un montage pour qu’il serve de canevas à la chorégraphie.
Qu’est-ce qui vous a amené à choisir ce métier?
Un coup de tête! J’ai toujours eu une passion pour la musique dès mon jeune âge. Il y en avait toujours dans la maison. J’aimais les chaînes stéréo, les platines, l’apparition des disques compacts et de la musique numérique, bref comme tout bon adolescent des années 90’. Un matin à la patinoire, ma chorégraphe qui connaissait bien mes intérêts, me proposa de faire les montages pour ses élèves. Je n’avais jamais fait cela, mais j’ai dit oui. Et un projet à la fois, j’ai débuté l’expérimentation.
«Les contraintes nourrissent la créativité…»
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste exactement votre métier?
Créer un canevas musical fluide d’une durée précise, construit de manière à faire correspondre les moments de la musique avec les exigences techniques du patinage, tout en racontant une histoire qui mettra en valeur la personnalité de l’athlète et avec l’objectif ultime de créer une émotion auprès du public.
Comment à partir d’une idée, d’une musique construit-on la musique finale?
C’est de l’expérimentation. Il n’y a pas de recette magique, car les options sont infinies. Parfois, on part d’une seule pièce et on recherche des morceaux qui s’agenceront. On part d’une idée et on retourne tout à l’envers. Pour les athlètes internationaux, il est rare qu’on s’en sorte avec moins de dix versions du montage. Les projets restent ouverts des semaines, parfois des mois, même une fois la saison des Grands Prix entamée.
En quoi le montage musical est-il si crucial pour monter un programme et pourquoi s’adresser à un professionnel comme vous?
On met une fortune en enseignement des techniques, en création de chorégraphie, en équipement et costumes et, trop souvent, le véhicule, la base de toute la saison est négligée dans son rendu. Pour moi, une mauvaise transition est tout aussi dérangeante qu’un costume mal ajusté. C’est la fondation de la saison et on ne peut pas construire une saison gagnante sur une base faible.
Quelles sont les contraintes auxquelles vous êtes confronté pour adapter la musique par apport aux règlements et aux demandes de vos clients?
C’est littéralement un casse-tête musical. Je joue à chercher des solutions de phrasés, de structures et de sonorités afin d’arriver à faire correspondre la musique à la durée et à l’ordre des éléments, aux contraintes qui me sont imposées par les clients et par les règlements.
De gauche à droite: Hugo Chouinard, la championne olympique Yu-Na Kim et le chorégraphe David Wilson
Pour vous, c’est quoi une bonne musique de programme?
Une musique qui permettra à l’athlète de nous montrer son plein potentiel, peu importe la musique. J’entends trop souvent les gens dire qu’ils veulent choisir une musique qui plaira aux juges. C’est à mon avis une grosse erreur et un frein à l’innovation dans notre sport. Exprimez-vous par la musique!
Justement, comment arrivez-vous à faire ressortir la personnalité d’un patineur à travers la musique?
En suivant le plus possible les athlètes, soit sur Internet, soit lors des compétitions. C’est important de connaître leur personnalité. Je fais beaucoup de brainstorming avec les chorégraphes. Il y a aussi une part d’exploration et d’expérimentation. La règle première est que l’athlète aime et soit inspiré par sa musique.
Vous avez collaboré avec quelques-uns des plus grands champions et entraîneurs, quel sentiment cela procure?
Toujours de l’excitation. Je veux que chacun arrive à exprimer au mieux sa personnalité sur la glace. Ma plus grande satisfaction est d’arriver à transposer leurs idées en musique, de faire en sorte qu’ils aient le véhicule musical idéal pour mettre en valeur leur talent. C’est comme faire des costumes, on veut faire briller le meilleur de chaque athlète. Le moment que je préfère au cours de la saison, est de voir ce qu’ils auront créé sur le montage.
«J’ai toujours eu une passion pour la musique dès mon jeune âge»
Une rencontre vous-a-t-elle particulièrement marqué?
Plusieurs de mes clients, athlètes, chorégraphes, entraîneurs sont devenus des amis. On passe d’innombrables heures à se creuser la tête pour créer de meilleurs concepts année après année. Ces liens sont devenus très importants dans mon quotidien et je ne pourrais en citer qu’une seule. Je suis impliqué non seulement au studio, mais aussi comme bénévole dans l’organisation de certains des événements autant régionaux que de l’ISU. Toutes ces rencontres me gardent continuellement connecté à notre sport et façonnent mon regard, me permettent d’évoluer.
Vous avez eu l’occasion de travailler avec Nathalie Péchalat et Fabian Bourzat qui ont un univers bien à eux, comment les définiriez-vous?
Innovateurs, artistes, perfectionnistes. Ce fût un challenge pour moi, car ils ont une vision très précise de leurs concepts et un souci du détail très aiguisé. Souvent, le chorégraphe prend charge de la musique, mais Nathalie et Fabian ont toujours été au-devant du processus créateur avec des idées nouvelles et originales.
Quels sont vos artistes ou vos types de musiques préférés? À quels autres sports ou formes d’art vous intéressez-vous?
J’aime de tout. J’ai un faible pour le tango argentin, la musique cubaine, Philip Glass, la complexité de la musique classique, la techno, le dubstep et je ne me cache pas d’aimer certains artistes de la pop. J’aime le design en général, le graphisme, l’architecture, Raymond Loewy, Ludwig Mies van der Rohe, j’ai d’ailleurs un Bac de Design Industriel (Ndlr: équivalent du Bac + 4 en France) qui m’a donné bien des outils.
Comment enrichissez-vous votre vision artistique? Et dans quelles sources, autres que le patinage, puisez-vous?
J’écoute constamment de la musique, je suis l’actualité artistique, les nouvelles productions, mais également les classiques. Internet est devenu une source inépuisable de culture et de ressources. Mes clients m’enrichissent de leurs découvertes et de leur façon d’entendre la musique. C’est très subjectif, très personnel l’émotion musicale. Je travaille en majeure partie pour le patinage, c’est mon monde, ma famille, mais j’ai depuis quatorze ans ouvert la création à la nage synchronisée et malgré le fait qu’à la base nos sports peuvent sembler similaires en ce qui attrait à performer sur une musique, leur culture et l’utilisation des styles et rythmes sont tout à fait différentes.
Souvent, l’appréciation du public et des juges vis-à-vis d’un programme est très différente, comment l’expliquez-vous?
Le spectateur aura, en général, un regard plus émotif sur la performance tandis que le juge doit évaluer un ensemble plus vaste de paramètres.
«Je crois qu’il faut arrêter de faire des choix en se demandant ce qui pourrait plaire aux juges…»
Pour vous, c’est quoi un programme marquant vis-à-vis du public et des juges?
En plus d’être capable d’accomplir les éléments techniques, le patineur devra être en mesure de combiner personnalité, style, projection, implication et charisme et évidemment, en symbiose avec sa musique.
La saison prochaine, les paroles vont être autorisées, pensez-vous que cela aura un impact positif sur la diversité et l’originalité musicale des programmes?
La saison est déjà commencée et je suis agréablement surpris de constater que plusieurs osent les paroles. Nous aurons de belles surprises!
Hugo Chouinard a été danseur sur glace avant de devenir designer musical – ici avec sa partenaire Martine Michaux en 1994 lors des championnats Seniors canadiens
Quelle évolution majeure avez-vous pu constater ces 10, 20 dernières années?
Il y a 20 ans, plusieurs mélangeaient n’importe quoi pour faire un montage qui devait totaliser une durée prescrite: une approche contrainte par le manque de ressources techniques et musicales. L’informatique et Internet ont tout changé. Plus récemment, l’arrivée de l’IJS (système de jugement mis en place depuis 2004) a créé des besoins plus précis et le monde du patinage porte désormais une attention particulière sur la relation intime entre la musique et la chorégraphie. Mon travail est devenu vraiment excitant et me lance quotidiennement de nouveaux défis pour façonner la musique au mouvement.
Avez-vous l’impression que le système de jugement actuel rend plus difficile l’expression artistique?
Les contraintes nourrissent la créativité…
On accuse souvent le patinage d’être désuet, en particulier parce qu’on entend les mêmes musiques, qu’en pensez-vous?
La porte est maintenant grande ouverte, il ne reste qu’aux athlètes à oser. Je crois qu’il faut arrêter de faire des choix en se demandant ce qui pourrait plaire aux juges, j’entends cette phrase trop souvent. Les juges sont humains, ne l’oubliez pas et chacun a ses propres goûts musicaux, sa culture, ses racines. Si l’athlète aime et ressent sa musique, la magie va opérer.
Interview réalisée par Vanessa Saksik le 20 Juin 2014 – Crédits Photos Hugo Chouinard
Hugo Chouinard en quelques mots
Après une carrière de danseur sur glace dans l’équipe nationale canadienne, il est passé de l’autre côté du miroir. Depuis plus de 20 ans, c’est au service d’athlètes tel que Yu-Na Kim, Javier Fernandez, Ashley Wagner, Qing Pang/Jian Tong, Joannie Rochette, Daisuke Takahashi, Johnny Weir, Akiko Suzuki, Jeremy Abbott, Sasha Cohen et bien d’autres que le natif de Montréal exerce ses talents.
Toujours en harmonie avec son temps, Hugo Chouinard a crée en 2004 Studio Unisons (SK8MIX pour la version anglophone) après plus de cinq ans de développement. Il propose, en plus d’un accompagnement personnalisé, des outils de collaboration on-line, axés sur des idées et suggestions musicales. Des outils qui constituent une source d’inspiration créés pour les besoins très spécifiques du patinage.