11 février 2014

Eric Radford: patiner sur sa propre musique

La musique sur laquelle s’exécutent les athlètes est cruciale en patinage artistique. Chose rarissime, le couple Eric Radford-Meagan Duhamel présentera aujourd’hui sa chorégraphie sur une pièce composée par le patineur lui-même. Un choix audacieux qui pourrait être payant. Quel est le rôle de la trame sonore dans cette discipline?

Aujourd’hui, quand le patineur canadien Eric Radford et sa partenaire Meagan Duhamel s’élanceront sur la glace olympique pour leur programme court, ce sera au son de Tribute, une pièce composée par le patineur lui-même, événement rarissime sinon unique dans l’histoire du patinage artistique.

Pour ce résidant de Montréal, le fait de patiner sur sa propre musique peut donner plus de sens à sa performance et permettre au public de s’identifier à elle. «Quand Meagan et moi sommes en position de départ, je suis plus concentré sur ce que j’ai à faire que sur la musique, a-t-il écrit à La Presse par courriel, de Sotchi. Mais dans la dernière minute du programme, et spécialement quand on arrive à la finale, il y a des moments où j’ai des frissons!»

Patin et piano

L’athlète olympique a commencé à jouer du piano la même année où il a chaussé ses patins, à 8 ans. Au secondaire, il a aussi appris la clarinette, le violon et la guitare.

«Si je pouvais mettre des mots sur ma relation avec la musique, je dirais que j’ai une «âme musicale» depuis ma naissance, affirme-t-il. En dehors du patin, c’est ma plus grande passion. J’ai étudié en musique pendant deux ans à temps partiel à l’Université York, et je prévois obtenir mon diplôme après ma carrière de patineur.»

Dès ses débuts au piano, le jeune Eric s’est mis à inventer des morceaux de son cru. «Je jouais mes pièces à mes amis et ils me disaient toujours: tu devrais patiner là-dessus! J’avais donc cette idée en tête depuis longtemps.»

Mais l’histoire de Tribute va au-delà d’une simple envie. En 2006, son entraîneur, Paul Wirtz, a succombé à un cancer à 47 ans. C’est à ce moment que les premières notes de Tribute ont éclos dans la tête de l’athlète, qui a composé la pièce au piano, en hommage au défunt.

«Paul était presque un troisième parent pour moi. Il a fait de moi le patineur que je suis. Quand il nous a quittés, cela a bouleversé ma vie», a-t-il expliqué dans une vidéo sur sa démarche tournée par CTV.

Orchestration

Pour transformer Tribute en véritable trame sonore, il avait cependant besoin d’un coup de pouce, qu’il a trouvé auprès du compositeur québécois Louis Babin.

Ce dernier a réalisé l’orchestration et l’enregistrement de l’oeuvre avec des musiciens de l’Orchestre symphonique de Longueuil, en collaborant avec le patineur pendant une année entière. La chorégraphe du couple, Julie Marcotte, s’assurait que la structure de la pièce serve les éléments techniques, les jeux de pied et les sauts au programme, et qu’elle véhicule la bonne émotion.

Il y a un risque certain à choisir une musique inconnue pour une épreuve olympique. Mais cela peut s’avérer payant, selon Hugo Chouinard, designer musical pour le patin artistique. «L’innovation est la bienvenue, car elle permet à l’athlète de se démarquer, d’être original et de dégager toutes les facettes de sa personnalité, tout en ajoutant de la saveur au programme.»

Chercher la musique parfaite

Les patineurs et leur équipe sont constamment à la recherche de la musique parfaite pour leurs prochains programmes.

Hugo Chouinard, designer musical et fondateur de Studio Unisons, conçoit des trames musicales de patinage artistique depuis 21 ans. Il a travaillé avec Kurt Browning et Joannie Rochette, entre autres. À Sotchi, 58 athlètes de 17 pays patineront au son de ses montages. Parmi eux, on compte Patrick Chan et le couple Tessa Virtue-Scott Moir en danse. Il s’est également occupé du programme long de Radford et Duhamel.

«La musique est cruciale, dit-il. Le patineur doit l’aimer pour pouvoir la vivre et ainsi exprimer ses émotions, ce qui majorera sa note en interprétation. Un montage bien ficelé et agencé aux divers éléments contribuera à augmenter sa note pour la chorégraphie. La musique idéale comporte des contrastes, des nuances de rythme, de texture et d’intensité. La magie opère lorsque tout est en symbiose.»

Pour choisir «la» bonne musique, tous doivent se mettre d’accord: patineur, chorégraphe, entraîneur et concepteur de la musique.

«Il est important que tous les intervenants fassent confiance au véhicule musical qui sera la toile de fond de toute la saison. L’athlète doit ressentir des émotions et visualiser des mouvements par la simple écoute de sa musique. C’est une partie du secret pour créer la magie qui va émouvoir la foule et les juges.»

La trame sonore de trois prestations célèbres

Jayne Torvill et Christopher Dean sur Le Boléro de Ravel – Sarajevo, 1984: Avec cette danse, le célèbre couple britannique obtenait la meilleure note jamais reçue en patinage artistique, et une note parfaite des 12 juges pour l’impression artistique.

Kurt Browning sur la musique de Casablanca – Lillehammer, 1994: Le célèbre patineur canadien n’a peut-être pas remporté de médaille à Lillehammer, mais on se souvient encore de cette performance du quadruple champion du monde.

Jamie Salé et David Pelletier sur la musique du film A Love Story – Salt Lake City, 2002: À la stupeur générale, le couple canadien est écarté du titre olympique en 2002. La juge française admet après coup avoir voté pour les Russes dans un échange de votes. Salé et Pelletier remportent finalement l’or, ex aequo avec le couple russe.